Résilience Organisationnelle Mise à jour du site juin 2023
Home » Newsletter » Newsletter N°1 - Français

Newsletter N°1 - Français

Interview de Gilles Teneau

Interview de Ran Bhamra

PORTRAIT - Miguela Domingo Centeno

PORTRAIT - Miguela Domingo Centeno - Résilience Organisationnelle

Portrait

Miguela Domingo Centeno est docteur en sciences de l'éducation et philosophie et docteur en Droit de l’Université Complutense de Madrid. Elle a également étudié la philosophie de l’idéalisme allemand au sein de l’Université de Münster (Westfallen, Allemagne), les méthodes de recherche et la bioéthique. En tant que professeur des universités, Miguela Domingo Centeno s’intéresse à la pédagogie thérapeutique et dirige 4 formations certifiantes dont 2 Masters. Elle a été Doyenne de l’Université Autonome de Madrid. Ses recherches portent initialement sur les émotions, la morale et l’éthique, ce qui la conduit à s’interroger sur l’intelligence émotionnelle, le pouvoir de la résilience dans l'enfance et l'adolescence et la prévention d'éventuelles difficultés éducatives.

 

 

  

Comment ces enjeux vous ont-ils amené à vous interroger sur la résilience ?

Dans le cadre de mes activités de pédagogie thérapeutique, je suis en contact étroit avec la génération Z et ses préoccupations quant au présent et à l’avenir. De ce fait, j’observe au quotidien un rapport fort de cette jeunesse au digital et aux réseaux sociaux, avec ses dangers, mais aussi des manques tels que la culture de l’effort, la culture d’entreprise, la loyauté, l’accompagnement, etc. J’aime cette jeunesse et je parie sur elle, mais elle souffre aussi d’un peu de déshumanisation : comportements procéduriers, manque d’empathie et de conscience d’autres manières de voir et de penser, etc.

La société les a faits égoïstes parce que les générations précédentes, à commencer par la mienne, leur ont rendu la vie assez facile, leur a tout donné. La jeunesse espagnole est un peu différente de la jeunesse française du fait des années de dictature franquiste qui a longtemps limité l’évolution des mœurs, à tous les niveaux de la société : racisme, xénophobie, homophobie, harcèlement, moqueries quant aux familles monoparentales sont encore fréquents. Cela est encore très prégnant dans la société espagnole. Nous devons encore apprendre beaucoup. Et, même si notre gouvernement est de gauche, les tendances politiques les plus audibles dans l’espace public sont pour partie inquiétantes.

Aujourd’hui, tout est résilience, nous devons tous être résilients et cela est présenté de manière tellement simple, comme s’il suffisait de prendre son café ! La résilience est en fait très difficile à éveiller au sein de chaque être humain. Il y a des circonstances adverses qui jouent un grand rôle, des personnes qui peuvent aider, etc. La résilience est un sujet complexe.

J’ai commencé à m’interroger sur la résilience, d’abord pour mon propre compte parce que j’avais vécu des choses difficiles que j’ai essayé de dépasser. Via des lectures, j’ai essayé de me soigner. C’est un processus pour changer sa manière de penser vers ce que l’on a, ce que l’on tient, plutôt que de se focaliser sur ce que l’on a perdu. On peut pleurer ce que l’on a perdu. L’idéalisme allemand m’a permis de transformer ces questionnements personnels sur la résilience vers une compréhension plus profonde de ce qu’est la résilience, de comment enseigner à quelqu’un la résilience.

Je suis à l’université depuis mes 18 ans. J’y travaille et j’apprends aussi beaucoup de la jeunesse, de la génération Z. Eux aussi nous enseignent aussi beaucoup. L’idée n’est pas de surmonter l’adversité en disant « je suis résilient ! ». L’adversité vient à toi et en me faisant être social, je remonte la pente. On peut avoir besoin de professionnels pour sortir de l’ornière qui a coincé son chemin. Il faudrait étudier un peu plus la résilience au prisme de l’être humain. 

Pour vous, la résilience est-elle liée à des compétences ou à des circonstances particulières ?

 Je m’en remets à la proposition de Rousseau : « L’homme est bon par nature ». Mais la société l’intègre ensuite et les choses se compliquent car ce n’est pas un monde heureux. La vie te fait souffrir parce que tu es dans des circonstances socio-économiques particulières, parce que tu es harcelé, parce que tu es différent des autres (gros, avec des lunettes, etc.), parce que tu ne t’identifies pas à ton corps, etc. Ce qui rejoint la proposition de Hobbes : « L’homme est un loup pour l’homme ».

 La vie est dure et peu simple. Le problème de la génération Z est son manque de culture de l’effort parce que cette jeunesse ne s’est pas rendu compte que toute la vie n’est pas faite et qu’ils ont à la faire. Or, ils arrivent à la vingtaine et ne savent pas s’y prendre ! Dans ma vision de la résilience, l’aide, la main tendue est donc d’autant plus nécessaire. En Guinée Équatoriale où j’ai travaillé sur des programmes d’enseignement et de formation du corps professoral, j’ai également aidé des orphelinats et notamment des jeunes qui voulaient apprendre à lire et à écrire. De manière générale, je me sens engagée sur le plan humain, auprès des animaux, de l’environnement, etc. Et c’est cet engagement qui me semble nécessaire à l’accomplissement de la résilience.

 

Qu’est-ce que la résilience organisationnelle pour vous ?

 

La résilience organisationnelle a à voir avec les leaders des organisations. Ce n’est pas tellement la question du charisme des leaders qui est importante ici, sinon le fait qu’ils soient entourés d’une équipe loyale, d’une équipe qui les accompagne, que le leader protège.

 Pour moi, il n’y a pas de résilience organisationnelle dans une société très hiérarchique. Dans des organisations pyramidales, il est rare qu’un supérieur se considère comme l’égal de son collaborateur. C’est comme pour le syndrome de Cronos : les chefs ont peur qu’un de leurs subordonnés compétents prenne leur place. C’est un peu moins le cas en Fonction Publique mais au sein de l’université, des entreprises privées en Espagne, c’est très difficile.


A mon niveau, je pense être une personne résilience dans l’environnement de ma classe, auprès de mes collègues. Cependant, au niveau de l’université, de l’entreprise, etc., il n’y a pas de résilience organisationnelle car il y a des peurs individuelles, par manque de flexibilité à cette échelle, etc. Il y a un thème fondamental aujourd’hui : la promotion de la médiocrité. Or, aujourd’hui, les hauts postes sont pour partie tenus par des personnes incompétentes pour en assurer la charge. J’ai travaillé 8 ans comme doyenne et j’y ai laissé ma santé à essayer de comprendre ce que faisaient ceux au-dessus de moi. Il n’y a pas une équipe qui ne se dise prête à réformer le système mais nous avons de plus en plus de situations d’échec scolaire, de harcèlement scolaire, le niveau est très bas, les lois organiques pour l’éducation changent en fonction des couleurs politiques, etc.

 Il pourrait y avoir une résilience organisationnelle au niveau d’une classe, d’un tribunal, etc. Mais à un niveau général, au niveau macro-systémique, ce sont des groupes isolés et qui peuvent tout de même avoir des problèmes. Tu fais ton microsystème avec tes équipes mais après, le Léviathan de la société ne te laissera pas aller plus loin. Tu peux y arriver en petit comité sur de petits projets ou thèmes, mais pas au niveau général. Si tu tentes d’aller au-delà, tu te heurtes à l’ordre établi et te mets en difficulté. Enfin, pour que des petits groupes parviennent à la résilience, c’est une lutte contre des titans, comme Don Quichotte face à ses moulins à vent ! Il y a des fois où tu te fatigues et où tu abandonnes parce que ta santé mentale est en jeu aussi. La résilience est un concept magnifique et incroyable, mais elle a un prix : l’énergie de ses porteurs.

Observations finales

 La résilience et le care sont liés. Le care et même les émotions sont importantes pour la résilience. Au-delà de la théorie, dans la résilience, il y a le sentiment de lutte contre l’adversité à laquelle je dois faire face.

 

Publications et Ouvrages